Zadig, petit conte de Noël - Calendrier de l'Avent Dec23

Zadig

 Or, pendant qu’ils étaient là, le jour où elle devait accoucher arriva ; elle accoucha de son fils premier-né, l’emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle d’hôtes. Il y avait dans le même pays des bergers qui vivaient aux champs et montaient la garde pendant la nuit auprès de leur troupeau. Un ange du Seigneur se présenta devant eux, la gloire du Seigneur les enveloppa de lumière et ils furent saisis d’une grande crainte. L’ange leur dit : « Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur ; et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » Tout à coup il y eut avec l’ange l’armée céleste en masse qui chantait les louanges de Dieu et disait :« Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés. »Or, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, les bergers se dirent entre eux : « Allons donc jusqu’à Bethléem et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. »

Luc 2,6-15

Vous connaissez sans doute ce passage de l'histoire de Noël. On y raconte que les bergers se hâtèrent d'aller à Bethléem. Mais une ancienne légende raconte raconte qu’au moment où les bergers se mirent en route, l’un d’eux s’est exclamé :

-Attendez, attendez, Oh ! On ne va pas partir comme ça sans réfléchir, hé !

Celui qui parlait ainsi s’appelait Zadig. Zadig n’était pas du genre à agir sans réfléchir. Dans sa vie, tout était pensé, calculé à l’avance. Il mettait un point d’honneur à tout faire correctement, les grandes et les petites choses, et jamais personne ne le prenait en défaut. Ceux qui l’aimaient disaient de lui que c’était un homme droit, un juste. Les autres disaient que c’était un maniaque, voir… un psycho-rigide… Mais tous s’accordaient pour dire qu’il soignait ses bêtes avec beaucoup d’amour, qu’il les bichonnait.

Pendant que les autres bergers, pressés de voir si l’ange disait vrai, s’engageaient déjà sur le sentier sans prendre le temps de l’écouter, Zadig se dit en lui-même :

-Je ne peux pas me présenter devant le Messie comme ça, dans mes loques puantes, la honte !

Bien entendu, Zadig emmenait toujours avec lui un vêtement de rechange, au cas où le premier se déchirerait !

-Je ne peux pas me présenter devant lui sans cadeau, la honte !

 Zadig alla donc chercher trois moutons dans le troupeau, les trois seuls moutons qui lui appartenaient en propre, toutes ses économies…

-Allez, maintenant, faut pas trainer…

Zadig s’enfonça à son tour dans la nuit sombre et silencieuse… Ses yeux éblouies par la lumière des anges peinaient à s’habituer à l’obscurité. Il n’y voyait plus à trois mètres. 

-Bon, qu’est-ce que je leur dit, au couple, en arrivant ? Je veux rien dire de déplacé, la honte, déjà que je me pointe en pleine nuit… Qu’est-ce qu’on dit dans ces situations ? C’est bien ça le problème, des situations comme ça, il n’y en a jamais eu, c’est le faux pas assuré… En parlant de pas, euh, j’suis où là ?

Le pauvre Zadig… Pris dans ses pensées, il n’a plus pensé à regarder où il allait. Par une telle nuit noire, ça ne peut que mal finir… Sans s’en rendre compte, Il a quitté le sentier qu’il suivait jusque-là… Il regarde autour de lui mais sans trouver le moindre point de repère : pas un arbre, pas une colline, rien… ah si ! si, là-bas, un feu !

Zadig s’y précipita et découvrit un voyageur en train de se réchauffer les mains devant les flammes. L’homme n’eu pas peur de lui, ce n’était pas bon signe…

-Ben qu’est-ce que tu fais là, toi ? Tu vas où comme ça, si tard dans la nuit ?

- A Bethléem !        

-Oulà ! Tu t’es bien gouré… Ouah, tes moutons ! Ils ont bonne mine !

-Est-ce que vous pouvez m’indiquer le chemin, s’il vous plait ?

-Ouais, il y a un sentier pas trop loin… Tes moutons, ils sont à qui ?

Il n’était pas difficile de voir où le voyageur voulait en venir, alors pour gagner du temps, Zadig lui fit cette proposition :

-Tu m’indiques le chemin et je t’offre l’un de mes moutons, en remerciement ! 

-Je ne peux pas refuser ! Le sentier est là ; juste derrière cette pierre à laquelle je suis appuyé.

-C’est pas vrai mais c’est pas vrai, se dit Zadig en reprenant son chemin vers Bethléem. Il m’a pris un tiers de mes économies, le chien… Et surtout, la honte ! Jamais de ma vie je ne me suis perdu. Cette nuit est vraiment bizarre.  

Un peu plus loin sur la route, Zadig huma une odeur qu’il connaissait par cœur : l’odeur d’un troupeau de mouton.

-C’est pas vrai mais c’est pas vrai, j’ai tourné en rond ou quoi ?

Non, ce n’était pas son troupeau, il entendit une voix inconnue dire :

-Oh non, oh non, oh non !!

-Euh, tout va bien ?

-Non, rien ne va ! répondit la voix. J’ai perdu un mouton ! J’en compte 14 au lieu de quinze… En plus le propriétaire du troupeau n’est pas du genre compréhensif… Il va me virer, c’est sûr. Je suis déjà pauvre, je vais finir miséreux…

Zadig n’avait pas le temps de l’entendre geindre, il devait se rendre à Bethléem. Et comment peut-on, s’il vous plait, être assez idiot pour perdre un mouton quand on en a que 15 à surveiller ? Franchement, il l’a cherché ! Mais ça ne serait quand même pas très correct de laisser ce jeune homme comme ça.

-Allez, allez, arrête… Tu sais quoi je te donne un de mes moutons comme ça ton maître ne remarquera pas que tu lui en as perdu un.

-Oh c’est vrai, mille merci !! Merrci !!

-C’est pas vrai, mais c’est pas vrai ! se dit Zadig en continuant son chemin avec le seul mouton qui lui restait. Jamais de ma vie je n’ai eu de pitié pour les incapables… Tout est bizarre cette nuit…

La marche commença à devenir vraiment pénible… En plus son genou lui faisait des misères. Le petit mouton semblait très fatigué, lui aussi… Zadig se mit à douter d’avoir suivi le bon chemin…

-Oh ! des maison ! En bas de la colline ! C’est Bethléem !

Dans sa joie, Zadig oublia sa douleur et se mit à courir. Il gagna rapidement l’entrée de la ville, mais alors le mouton effrayé par les habitations vint marcher un peu trop près des talons du berger. Ils trébuchèrent l’un sur l’autre et se ramassèrent sur le sol.

-Mais c’est pas vrai mais c’est pas vrai ! dit Zadig en se relevant. Je ne trébuche jamais, d’habitude. Tout est tellement bizarre, cette nuit.

La nouvelle chemise de Zadig était toute crottée, tout comme son visage. Et son genou était dans un état… Le mouton aussi était blessé et avançait en boitant. Au détour d’une rue, ils rencontrèrent un berger, l’un de ceux qui avaient vu l’ange.

-Zadig ! Qu’est-ce qui t’es arrivé ?

La honte…

-Laisse tomber ! Dis-moi, tu l’as vue, le nouveau-né ? Il existe au moins ?

-Oui !! De l’autre côté du village, dans une grange…

-Dans une grange ?? Le Messie dans une grange ?

-Tu verras c’est… c’est… tu verras ! Pourquoi t’as ramené ce mouton ?

-Je vais l’offrir à l’enfant et sa famille !

-Qu’est-ce que tu veux qu’ils fassent de ton mouton boiteux et tout sale ? Et tu vas pas le faire marcher jusque-là, le pauvre, il a besoin de repos ! Ecoute, je t’attends-là avec le mouton pendant que tu vas voir l’enfant.

-Je vais nulle part ! J’ai plus de cadeau, j’ai l’air d’un clochard, je n’ai pas la moindre idée de ce que je peux leur dire, la honte ! Tout faux. J’ai mal partout, je suis fatigué… Je vais me coucher-là et dormir !

-Allez tu vas pas rater ça, on s’en fiche que tu ne sois pas propre. Ils sont pas dans un palace, l’enfant dort dans une grange, j’te dis !

Encouragé par son collègue, Zadig se rendit jusqu’à la crèche. Là, il rencontra le couple, Marie et Joseph. Ils étaient si groggy par la fatigue et la joie qu’ils ne remarquèrent pas que le visage de Zadig était couvert de boue.

-Euh, il y a eu un ange, et… ben, l’enfant, il nous a dit…

-Oh ! Vous devez être Zadig. Les autres bergers nous ont parlé de vous, ils s’inquiétaient. Venez voir l’enfant !

Zadig s’attendait à voir un bébé étincelant comme l’ange qui était venu leur annoncer cette naissance. Mais non, c’était un beau bébé, tout ce qu’il y a de plus normal. Les larmes lui montèrent aux yeux. Ce bébé qui faisait des bulles de bave, comme tous les autres bébés quoi, ce bébé était le sauveur du monde. Il n’avait jamais rien vu d’aussi beau. Zadig s’assit à côté de lui et lui donna le doigt. L’enfant pris son doigt, comme font tous les nouveau-nés, quoi ! Il resta auprès de lui pendant une bonne heure, dans le silence. Non, il n’aurait rien pu faire, dire, offrir qui aurait rendu cet instant plus beau qu’il ne l’est. Cette rencontre se suffit à elle-même. Cette rencontre est tout. Le petit s’endormit. Tout était bien.   

 

Axel Bieber

Tous les jours de l'Avent, Axel Bieber et Jürgen Grauling ont offert un billet électronique. Pour voir les précédents, reportez-vous sur le bloc-notes du site.

 

 

 

 

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