Alexandrins pour un refuge égyptien

Noël selon Matthieu, par Jürgen Grauling

L’histoire du double exil d’un enfant en péril

Alexandrie, alexandrins pour un refuge égyptien

Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis […] ! Matthieu 2, 13

 

Tu nais comme un enfant fragile et en péril

jeté tout jeune sur les routes de l’exil,

Tu erres sans vraiment savoir où te poser

traversant les déserts pour en Egypte entrer

dans un refuge, provisoire et passager,

seulement jusqu’à ce que s’arrête le danger.

Ton retour, par le passage désertique,

se complique, pour cause la politique.

Ton village natal, ta patrie t’est fermée

Une fois de plus, il faut se déraciner.

 

Et encore, n’as-tu pas eu de la chance

quand on voit ce que les « seigneurs » manigancent ?

Toi, seul rescapant de la fureur des puissants,

d’Hérode, le grand massacreur des innocents,

qui craint bien que grabataire encore les rivaux

d’Archelaüs, son fils qui a peur des complots,

tes parents, inpirés, savent te protéger,

éviter le danger, quitte à déménager.

Bravant la route, le froid, la peur et la faim

Vous finirez par devenir Nazaréens.

 

Hérode est mort, mais une horde de tyrans

se lève aux noms d’Assad, de « calife » et « sultan »,

sème la terreur, le désarroi et la mort :

armes chimiques, trancher la tête du corps,

tortures, maltraitances ou chair de canon

engendrent des souffrances et horreurs sans nom.

L’enfant de Noël, Jésus, le fils de l’exil

est rejoint sur les routes par cents et par mils,

frères chrétiens, yézidis ou sœurs musulman’

répondant au noms d’Aicha, Kaled ou Aylan

aux fortunes chanceuses ou dramatiques

échouant au refuge ou dans une crique.

 

Enfant du refuge, tu devins Nazaréen,

Ton vrai chez toi, pour autant, fut azuréen,

Toujours étranger et vagabond sur terre

le Ciel pour Patrie, le Très-Haut pour Père.

Tu as en horreur les tueurs-kalachnikov

mais ne te réfugies pas plus dans Peace and love.

Sans terre, sans abri tu ne te terres pas

Parole divine, tu ne te tairas pas

Sauvé, enfant, tu te feras Sauveur qui meurt

en faisant une croix sur la haine et l’horreur.

Pourtant, les dizaines de millions nous font peur

Comment te suivre sur ton chemin de sauveur ?

Que l’Esprit qui t’habite guide pas à pas

nos décisions brouillonnes. Oh ! Maranatha !

 

(Publié dans le Partage-Présence n° 204 de décembre 2015)

 

 

 

 

 


 

ENCART : Bethléem : Noël entre folklore et récit théologique

Nos crèches vivantes dépeignent la naissance de Jésus de manière assez uniforme. Un nouveau-né couché dans une mangeoire d’étable, entouré de Marie et de Joseph, recevant successivement la visite des bergers et des mages. Quitte à gommer les différences notables entre les récits de Luc et de Matthieu, les deux seuls évangélistes à nous raconter la nativité (pour Marc, la naissance du Christ, c’est le baptême de Jésus ; pour Jean, il est Parole de Dieu faite homme ; pour l'apôtre Paul Jésus devient Fils de Dieu par la résurrection Rm 1/1-7). Il est vrai qu’il n’est guère nécessaire d’embrouiller les esprits des enfants qui découvrent cette histoire.

Par contre, ne devrait-on attendre d’une foi adulte qu’elle se confronte aux contradictions et ne s’arrête pas aux aspects miraculeux relatés (la conception virginale, les interventions de messagers célestes etc.) ? Luc nous raconte un couple parental jeté sur les routes à cause de la géopolitique et d’un recensement organisé par les puissants. Bethléem, ville de David, ne devient la ville natale que par « accident » et providence divine. Pour Matthieu, Joseph et Marie sont visiblement des habitants de Bethléem et ne s’exilent en Egypte, puis à Nazareth qu’à cause de l’hostilité d’un tyran et de l’arrivée au pouvoir d’un autre.

Matthieu et Luc s’entendent tout de même quand il s’agit de mêler la nativité et la « grande politique », d’affirmer la virginité de Marie et la naissance messianique de Jésus comme descendant de David dans le fief du roi légendaire. Bref, tous deux livrent des pistes à visée théologique (et non historique) pour comprendre le statut si particulier de Jésus, « Fils de Dieu » et « Roi » singulier dont le règne n’est pas de ce monde. Ceci incite certains théologiens (mais cela dépasse cette méditation) comme Martin Koschorke qui réside dans la vallée de Villé à affirmer avec de sérieux arguments : « Jésus n’était jamais à Bethléem » (M. Koschorke, Jesus war nie in Bethlehem, Darmstadt, WBG-Verlag, 2007).


 

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